Durant les années 80, l'intérêt grandissant des entreprises américaines pour le développement de la compétitivité, engendra une très forte mobilisation pour la qualité. Les trois grands leaders de celle-ci furent W. Edwards Deming , Joseph Juran, et Philip Crosby. Chacun d'entre eux était Consultant actif, enseignant, auteur d'ouvrages et possédait un grand nombre d'années d'expérience. Deming et Juran avaient atteint leurs quatre vingtièmes année et avaient fortement influencé l'industrie japonaise. Crosby, âgé de soixante ans, était l'ancien Directeur de la qualité de l'entreprise ITT. Il développa une approche personnelle et originale de la qualité.
« La qualité, c'est gratuit »
Philip B. Crosby (né en 1926). Gourou américain célèbre pour sa formule « la qualité, c'est gratuit » dont il a fait le titre de son ouvrage le plus connu, La qualité, c'est gratuit (1986) [quality is Free, 1979],
Philip B. Crosby démarra dans l'industrie comme inspecteur. Il gravit les échelons pour terminer à la Direction de la qualité au sein du groupe ITT avant de fonder le Quality College, en Floride, qu'il dirige aujourd'hui., En 1979, il fonde Philip Crosby Associates dont 10% appartiennent à Général Motors. Le message de Crosby est dirigé vers les Directions afin de modifier leurs attitudes et perception vis à vis de la qualité. Typiquement, la qualité est confondue avec un contrôle final. Crosby parle de qualité en tant que "conformité à des exigences" et tout produit répondant à ces critères sont déclarés de haute qualité. En conséquence. Une Twingo qui respecte ses spécifications possède le même niveau de qualité qu'une Rolls Royce respectant ses propres exigences. Crosby pense que la conquête de la qualité, au sens où il la définit conduit inévitablement à la chute des coûts et à l'accroissement de la productivité. C'est ce qui conduit Crosby au fameux titre de son ouvrage "La liberté de la qualité "
De ce fait, les objectifs de qualité sont à atteindre par la prévention et non par le constat après coup.
C'est Crosby qui a initialisé le concept du zéro défaut au sein de Martin, compagnie dans laquelle il fut employé. La perfection était possible quand elle était effectivement attendue. Ce fut la philosophie de Martin qui mit en oeuvre un programme pour atteindre cet objectif Le moteur de ce changement était selon Crosby. Le changement du mode de pensée des directions. Elles obtenaient ce qu'elles attendaient bienfaits ou méfaits selon. Pour Crosby. Le zéro défaut devint une méthode de management standard et non pas, simplement, une démarche de motivation du personnel.
Crosby mit en oeuvre deux outils d'accompagnement de la conquête de la qualité, la mesure de la qualité et la grille de maturité du management. Crosby évalue le coût de la non-qualité entre 15 et 20% du chiffre affaires global des entreprises. Ce chiffre particulièrement évocateur est susceptible de mobiliser les directions sur des objectifs d'amélioration. La grille de maturité est plutôt une grille d'autocontrôle ou d'auto-évaluation. Cette grille définit cinq niveaux de prise de conscience des nécessités de la qualité:
1. L'incertitude, l'entreprise n'intègre pas les outils de la qualité comme outils de
management.
2. Le réveil, la qualité est reconnue comme importante mais aucune action concrète n'est décidée.
3. La vision éclair, la direction fait face et bâtit un plan formel d'amélioration de la qualité,
4. La sagesse, la prévention fonctionne, les problèmes sont identifiés à la source, les actions correctives sont mises en place,
5. La certitude, la qualité devient un outil de management.
Pour chacune de ces cinq phases. Crosby examine le statut et l'organisation de la qualité dans l'entreprise. Les procédures de prise en compte des problèmes, coût réels et prévisionnels de la qualité (% des ventes) actions d'amélioration de la qualité.
Après le positionnement de l'entreprise sur la grille de maturité, Crosby propose un programme adapté en 14 points pour améliorer la qualité. Il insiste davantage sur la prévention que sur la détection des problèmes sur la transformation de la culture d'entreprise que sur la mise en oeuvre d'outils statistiques d'analyse. Le programme est une sorte de guide pour rassurer la direction et obtenir l'adhésion du personnel à travers des actions telles que la journée "Zéro Défaut". "A chaque entreprise son programme" selon Crosby, l'objectif étant le zéro défaut. La direction possède le leadership de l'opération, les professionnels de la qualité jouent les rôles de "passeurs" de "facilitateurs", mais les travailleurs de fonctions modestes ont un rôle secondaire.
Catégories |
Incertitude |
Réveil |
Vision éclairée |
Sagesse |
Certitude |
Attitude et compréhension de la Direction |
Ne perçoit pas la qualité comme instrument de management |
Comprend l'interêt, mais ne met rien en oeuvre |
Réalise son apprentissage et apporte son soutien |
Participe directement au actions qualité |
Intègre les outils de la qualité comme éléments essentiels du management |
Niveau d'organisation de la qualité |
Limité à:Production, conception, évaluation et tri |
Leader qualité en place. Actions limitées à l'évaluation et au tri |
Reporting du département qualité vers la direction, particiaption au management |
Le responsable de la qualité est un cadre. Actions préventives fortes |
Le RAQ appartient à la directin, focalisé sur la prévention |
Gestion des problèmes |
Problème traité quand découvert et souvent partiellment résolu |
Des équipes traitent les problèmes avec une vision court terme |
Problème résolu dans l'ordre et actions correctives régulières |
Problèmes identifiés à leur source |
A l'execption de rares cas, prévention des problèmes |
Coût de la non qualité en % des ventes |
Environs 20% |
Détectée 5% Effectives 15% |
Détectée 8% Effectives 12% |
Détectés6,5% Effectives 8% |
Détectée 2,5% Effectives 2,5% |
Actions d'amélioration de la qualité |
Pas d'action planifiée |
Réactives et court terme |
Programme en 14 étapes en cours d'implantation |
Poursuite du programmes en 14 étapes et entrrée dans la zone des certitudes |
Actions continues d'amélioration de la qualité |
Bilan de l'attitude de l'entreprise |
Nous ignorons pourquoi nous avons des problèmes de qualité |
Aurons-nous toujours des problèmes de qualité? |
Du fait de l'engagement du management et des programmes d'amélioration de la qualité, identification et traitement des problèmes quamités |
Prévention permanente contre les défauts |
Nous savons pourquoi nous n'avons pas de problème relatif à la qualité |
La grille de maturité du management selon Crosby
1. Engagement de la Direction. L'ensemble de la Direction de l'entreprise doit être convaincu du besoin de l'amélioration de la qualité et exprimer clairement son engagement à toute la société. Ceci doit être accompagné par un document écrit définissant la politique qualité de l'entreprise et exprimant "Ce que chacun doit faire en respect des exigences ou effectuer officiellement des évolutions de celles-ci de sorte qu'elles atteignent ce que nous pouvons faire et répondent au besoin du client".
2. Les équipes d'amélioration de la qualité. La Direction doit mettre en place dans chaque entité de l'entreprise une équipe qui supervise l'amélioration de la qualité. Le rôle de l'équipe est d'évaluer ce qui est nécessaire au niveau de son département et de le mettre en oeuvre tout en respectant la politique générale de qualité de l'entreprise.
3. La mesure de la qualité. Des indicateurs qualité sont à mettre en place de manière à identifier les besoins d'amélioration. En comptabilité, par exemple, un indicateur peut être le pourcentage des retards de traitement, en développement le nombre de litiges techniques remontés par produit, aux achats le nombre de rejets de commandes dus à l'imprécision des spécifications et aux services généraux le nombre &heures perdues du fait des pannes des équipements.
4. Évaluation du coût de la non-qualité. Les équipes d'amélioration de la qualité feront une estimation des coûts de non qualité de manière à identifier les zones prioritaires où les actions conduites seront immédiatement profitables.
5. Prise de conscience des nécessités de la qualité. Une prise de conscience des nécessités de la qualité doit se faire au sein du personnel. Il doit être amené à comprendre l'importance du respect des spécifications, le coût des non-conformités. Ces messages doivent être véhiculés par leurs responsables immédiats (après une formation de ceux-ci) en s'appuyant sur des outils tels que des cassettes vidéo, des livres, et des posters.
6. Actions correctives. Les opportunités pour les actions correctives sont déclenchées par les étapes 3 et 4, tout comme par des discussions parmi les employés. L'idée doit to 'ours être véhiculées par les responsables immédiats et les problèmes traités au sein de l'équipe si possible. Si nécessaire, il ne faut pas hésiter à sortir du cadre du groupe de résolution pour un traitement de plus grande ampleur.
7. Planification du Zéro défaut. Un comité ad hoc "Zéro Défaut" doit être constitué dans l'équipe d'amélioration de la qualité. Ce comité mettra en place, un programme "Zéro défaut" approprié aux besoins de l'entreprise et à sa culture.
8. Formation des responsables et des contremaîtres. Dès le démarrage du programme, à leurs différents niveaux de responsabilité, les responsables doivent être formés pour implanter ce qui leur revient dans le programme global d'amélioration de la qualité.
9. La journée "Zéro défaut". Une journée "Zéro défaut" doit être programmée afin que l'ensemble des personnels de l'entreprise soit sensibilisé aux nouveaux standards de performances.
10. Définition des objectifs. Afin de transformer les engagements en action, les individus doivent établir des objectifs d'amélioration pour eux-mêmes et pour leur groupe. Pour cela, chaque responsable définit avec les membres de son équipe des objectifs spécifiques à atteindre dont le résultat soit mesurable. Ces objectifs peuvent être portés à la connaissance de tous et des réunions régulières pourront en apprécier les progrès.
11. Eliminer les causes d'erreurs. Chaque employé se doit d'informer son responsable immédiat de toute anomalie ou problème lui interdisant de traiter une tâche sans erreur. Les employés dont pas à prendre des décisions particulières à cet effet. Par contre les problèmes signalés doivent recevoir une réponse du management dans les 24 heures.
12. Reconnaissance. Des incitations publiques et non financières doivent être données à ceux qui atteignent leur objectif de manière régulière.
13. Comité Qualité. Les experts qualité et les personnes particulièrement motivées par la démarche de progrès doivent se rencontrer régulièrement afin d'échanger idées et expériences.
14. Recommencer et toujours progresser. Pour mettre l'accent sur l'amélioration permanente de la qualité, l'ensemble des points précédents doit être repris régulièrement. Ceci renouvelle l'engagement des anciens employés et introduit les nouveaux venus dans le process, c'est le rôle du Comité Qualité.
En 1967, Crosby a mis au point 14 principes, dont la plupart ressemblent à ceux de Deming. Ces principes sont basés sur rapproche "zéro défaut" qui définit la qualité comme la conformité aux exigences.
En 1984, Crosby a publié le livre Quatity Without Tears dans lequel il a décrit que l'amélioration de la qualité repose sur deux concepts fondamentaux:
l'amélioration de la qualité est un processus, c'est-à-dire un enchaînement d'activités qu'il , est possible d'identifier, de classifier et de mesurer;
le management de la qualité repose sur quatre principes : la conformité aux exigences, la prévention des défauts, la norme de performance "zéro défaut", le prix de la non-conformité (Gogue, 1990) .
Ce qu'il y a de plus frappant dans la révolution de la qualité c'est sa « jeunesse ». En 1980 encore, on aurait eu du mal à trouver, au sein des directions occidentales, quelqu'un accordant à la qualité un rôle essentiel dans la politique managériale. La qualité passait à l'époque pour une simple affaire d'inspection et de correction des défauts découverts, plutôt que pour un mode de gestion visant à exclure toute erreur du cycle de production. Aujourd'hui, en revanche, il y aurait lieu de considérer la gestion de la qualité totale comme la théorie du management la plus influente de la période actuelle, celle dont les objectifs sont désormais formalisés dans les contrôles de qualité standardisés (ISO 9000 - BS 5750).
Comment expliquer ce revirement ? Par l'arrivée triomphante des entreprises japonaises sur le marché mondial dès la fin des années soixante-dix, surtout dans des domaines de production tels que les photocopieurs, les appareils photo ou les automobiles, domaines pour lesquels les États-Unis bénéficiaient depuis longtemps d'une suprématie incontestée. C'est à cette époque que les patrons américains apprennent à leur stupéfaction que le Japon, pays dévasté par deux bombes atomiques et dont le nom évoquait naguère la fabrication en série de produits médiocres, a réussi à se doter d'une base industrielle de toute première qualité tout simplement en suivant les conseils de W. Edwards Deming, statisticien américain peu écouté dans son pays d'origine. Et que dès 1951, les entreprises japonaises se disputaient le prix national de la qualité '@dit prix Deming, dans un concours qui, retransmis à la télévision aux heures de grande écoute, attirait l'attention du pays entier. Ce ne fut qu'en 1987 que les ÉtatsUnis introduisirent le prix Malcolm Baldrige, d'un prestige comparable.
C'est William E. Conway, président et, par la suite, directeur général de la Nashua Corporation, société fabriquant du matériel de bureaux, qui, en 1979, découvre l'ampleur de l'influence de Deming, âgé alors de soixante-dix-huit ans. Il engage le vieux statisticien en tant que consultant après que ce dernier lui ai imposé comme condition de son assistance, de prendre personnellement la tête d'un programme de qualité chez Nashua. Résultat : l'entreprise affiche bientôt une diminution spectaculaire du délai de traitement des commandes, qui passe de huit jours à une heure, et du nombre de réclamations des clients, qui connaît une chute de 70 %.
En juin 1980, la chaîne de télévision NBC diffuse un documentaire intitulé if Japan (,an, Why Cant We ? (le Japon y arrive, pourquoi pas nous ?). Le réalisateur exprime à l'occasion son incrédulité devant l'ignorance apparemment générale des responsables du gouvernement américain concernant la contribution de Deming à la prospérité japonaise. Le lendemain de l'émission, le téléphone du bureau de Deming à Washington sonne sans interruption. Plus tard dans l'année, Deming commencera à animer des séminaires de quatre jours pour dirigeants, activité qu'il maintiendra au rythme de vingt séminaires par an jusqu'à peu avant sa mort à la fin de l'année 1983.
Parmi les sociétés américaines ayant accepté et appliqué les principes de Deming, citons Ford (l'un des premiers adeptes), Honeywell, AT & T, Campbell's Soups, Kimberley-Clark, Procter & Gamble, Velcro et la compagnie d'électricité Florida Power and Light, la première entreprise non japonaise à remporter le prix Deming au Japon, en 1989.
Deming n'était toutefois pas le seul fondateur du contrôle statistique de qualité ou du contrôle statistique des processus, noms que reçurent les méthodes employées. Les bases en avaient déjà été jetées dans les années vingt par Walter Shewhart, physicien des laboratoires Bell, aux ateliers Hawthorne de Western Electric, à Chicago, où Deming ainsi que son futur rival Joseph Juran travaillaient à l'époque. Cet établissement fut à la fin des années vingt un véritable creuset des recherches les plus influentes sur le monde de l'entreprise. Il a laissé son nom dans l'histoire du management comme lieu de naissance de la sociologie industrielle grâce aux études d'Elton Mayo sur la motivation et les rapports entre ouvriers et direction.
Shewhart lança l'étude des variables, tant contrôlées (par le processus même, sa conception et la formation des salariés) qu'incontrôlées (dues à des facteurs extérieurs au processus). Les techniques qu'il mit au point et publia en 1931 dans un ouvrage intitulé Economic Control of Quality of Manufactured Product étaient conçues en vue de permettre la fabrication en série et sans erreur des combinés et des centraux téléphoniques. Elles ont en outre ouvert des perspectives passionnantes en démontrant que la réduction des variations a pour conséquence l'amélioration de la qualité et de la productivité.
Contrairement à Shewhart, qui s'était limité au domaine de la production en série, Deming généralise les principes de son prédécesseur pour y englober les processus non productifs, l'administration. Il incite également les dirigeants à s'interroger sur les causes de toute variabilité constatée. Grâce à l'application de ses techniques au recensement américain de 1940, la productivité de certaines des activités qui en font partie, comme le codage ou le travail sur cartes perforées, se multiplie par six. En 1942, Deming se met à organiser des stages afin d'apprendre les méthodes de Shewhart aux chefs d'entreprise et à d'autres personnes jouant un rôle dans l'effort de guerre. Cette activité débouche en 1946 sur la création de la Société américaine du contrôle de qualité.
Malheureusement, l'idée ne prendra pas dans le contexte économique d'après-guerre, où les consommateurs ayant connu les pénuries de la période précédente accueillent à bras ouverts et sans esprit critique le retour à l'abondance (des cercles de qualité avaient eu lieu dans l'industrie américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale mais, en l'absence d'instruments statistiques à la hauteur de la tâche, ils tombèrent dans l'oubli une fois la paix revenue). Aussi Deming, cas classique du prophète méconnu dans son pays, doit-il attendre une invitation au Japon durant l'été 1950, pour donner des conférences sur les méthodes de contrôle de qualité utilisées par les États-Unis pendant la guerre. Quelques années auparavant, dans le cadre du programme d'assistance à la reconstruction, une équipe de Bell Lab (Oratorios s'était rendue au Japon pour faire connaître son expérience en la matière. Ce qui explique qu'à l'arrivée de Deming, les dirigeants d'entreprise japonais étaient déjà sensibilisés à l'idée que la qualité découle de la réduction de la variabilité et quelle entraîne la productivité dans son sillage.
Deming, en dépit de l'accueil on ne peut plus enthousiaste que lui réservèrent les cadres moyens du pays, se rendit rapidement compte que, s'il voulait contribuer à modifier les habitudes de travail, il lui faudrait s'adresser au sommet du monde des affaires. Il demanda donc à ses hôtes de l'Union japonaise des scientifiques et des ingénieurs, d'organiser des réunions avec des membres de la Keldanren, association des cadres supérieurs japonais, dont la première se déroula en juillet 1950.
Avant la fin de l'année, l'Union japonaise des scientifiques et des ingénieurs avait institué le prix Deming.
Deming assurait à son auditoire de hauts responsables quels n'avaient qu'à adhérer à sa philosophie de la « gestion pour la qualité » pour acquérir une puissance concurrentielle telle, qu'en l'espace de cinq ans, « les industriels du monde entier réclameront à cor et à cri des mesures protectionnistes ». Dans les années quatre-vingt, il devait ajouter, non sans ironie: «Il ne fallut en fait que quatre ans. » Au centre de sa théorie : le consommateur est considéré comme le maillon le plus important de la chaîne de production. Concept qui, quarante ans plus tard, continue de passer pour une innovation en Occident.
Deming a développé les « Quatorze points », désormais célèbres, depuis ces vingt dernières années. Ils ont subi de nombreuses modifications qui traduisent l'affinement progressif de la pensée de leur auteur. Si la version présentée ici vient de l'ouvrage The Deming Dimension, de Henry Neave, collègue britannique de Deming, les mots, assurent ce dernier.
Soulignons tout d'abord que les « Quatorze points » n'ont pas la vocation de fournir des recettes ni une liste de mesures à appliquer. Ils constituent plutôt la trame dune philosophie qui vise à faire réfléchir les hauts dirigeants sur les moyens d'améliorer les performances de leur entreprise et, dans la meilleure tradition japonaise du kaizen, d'élaborer un programme de progrès permanent.
La tâche de la direction, dit Deming, est « de mener à bien les changements qui s'imposent ». Vers le milieu des années quatre-vingt, il était parvenu à la conclusion que jusqu'à 94 % des améliorations dans le domaine du contrôle de qualité incombent aux dirigeants. On relève un point de vue semblable dans les écrits de Joseph M. Juran, contemporain de Deming (né en 1904) et également conseil en qualité dans le Japon des années de reconstruction.
La méthode de Juran, qu'il appelle Company-Wide Quality Management, ou CWQM (gestion de la qualité à l'échelle de toute l'entreprise), fait moins appel à la statistique que celle de Deming. Elle repose sur une conception cohérente de la planification de la qualité, appliquée à l'ensemble des activités de l'entreprise, qu'il expose de façon éclairante dans son livre Planifier la qualité (1989) [Juran on Planning for Quality, 19881. Au cœur de sa démarche se trouve une trilogie de techniques: planification de la qualité, contrôle et amélioration. Les clés de la planification stratégique de la qualité sont, selon Juran, l'identification des besoins des clients, l'établissement (J!objectifs en matière de qualité et de critères &évaluation permettant de les atteindre, la mise en place de processus de planification en vue d'atteindre ces objectifs dans les conditions de fonctionnement effectives et la réalisation d'améliorations constantes dans les domaines de la part de marché, du positionnement et de la réduction des erreurs.
Joseph Juran préconise un travail de fond et de longue haleine, plutôt qu'un mode de gestion de la qualité fonctionnant au coup par coup. Il évoque, en guise d'analogie, la situation d'un homme qui, traversant un marécage à gué, se trouve entouré de crocodiles. Selon le fonctionnement par projets éphémères, il s'agirait de tuer les crocodiles un par un. Or dans ce cas, d'autres surgiraient immanquablement. La seule solution durable consiste donc à vider le marécage. De même que Deming, Juran assigne à la direction de l'entreprise l'essentiel de la responsabilité en matière de qualité. Il assure que plus de 80 % des problèmes de qualité concernant des défauts que les dirigeants pourraient régler.
Au niveau le plus élémentaire, le refus d'assurer la qualité dès le départ entrai7ne des coûts supplémentaires dans des domaines tels que les inspections, les essais, les garanties, les retouches et les mises au rebut. Dans la Qualité, c'est gratuit (1986) [Quality is f'ree, 1979], Crosby répartit dans trois catégories les coûts de la mise en place &un programme du Coût de la qualité (CQ): les coûts de prévention, d'évaluation et des échecs.
Dans la première catégorie, on trouve les cahiers des charges, l'homologation des produits, l'évaluation des fournisseurs, les séminaires sur la qualité destinés aux fournisseurs, les études de capacité des processus, la formation aux opérations, les programmes de zéro défaut, les audits de qualité et la maintenance préventive. Les coûts d'évaluation concernant essentiellement les programmes d'inspection et de surveillance, alors que Crosby classe sous la rubrique des coûts des échecs la modification de la conception des produits, les retouches, la fiabilité de produit et, dans quelques cas, la perte de crédibilité auprès du client.
Dès que le service financier parvient à un calcul global du CQ, on peut établir des objectifs de réduction des coûts à mesure que la qualité s'améliore. En peu de temps, ces réductions se traduisent par une nette augmentation du bénéfice avant impôt. L'expérience de plusieurs entreprises confirme cette hypothèse, parfois même de façon spectaculaire: la campagne de qualité totale qui se déroula de 1.987 à 1992 chez Motorola permit une augmentation de 3,2 milliards de dollars du résultat net de l'entreprise.
Richard Schonberger, auteur de Tous clients (1992) [Building a (Chain of customesr,, 1990], estime pour sa part que, dans nombre d'entreprises, le coût de la mauvaise qualité atteint 15 à 30 % du chiffre &affaires : autant &argent gaspillé dans les coûts internes (mises au rebut, retouches, reprogrammation, heures supplémentaires) et externes (garanties, renvoi de produits défectueux, temps consacré à apaiser des clients excédés).
La contribution la plus importante peut-être d'auteurs comme Crosby et Schonberger à la réflexion sur l'entreprise a été de mettre en lumière le rapport fournisseur client qui existe à chaque étape du processus de production. En considérant chaque participant comme un client qui a des exigences en matière de qualité et de performance, on peut, affirment ces penseurs, éviter une grosse partie du gaspillage et des erreurs, ce dont le client réel, situé au bout de la chaine, profitera. Ce principe est devenu un élément clé de la reconfiguration transfonctionnelle des processus de travail.
L'audit de qualité BS 5750 du British Standards Institute (Institut britannique de normalisation), accueilli dans l'indifférence générale lors de son introduction en 1979, a depuis servi de modèle à la norme mondiale ISO 9000 et à celle de l'Europe, EN 29000.
On reconnaît désormais que la qualité est une cible mouvante: dès lors que des taux faibles d'erreur deviennent la norme dans un secteur d'activité donné, chaque entreprise est contrainte de viser une cible encore plus ambitieuse et de maintenir une grande qualité à un coût de plus en plus réduit.
Richard Schonberger fait remarquer dans Tous clients (1992) [Building a Chain of Customers, 19901 que, les normes généralement admises en matière de qualité étant montées de quatre paliers en une dizaine d'années - de l'action corrective à la prévention, puis à la qualité fondée sur les coûts et enfin à la qualité au service du client -, on peut s'attendre bientôt à l'avènement d'une nouvelle « génération » d'améliorations. Le prochain bond en avant, prédit-il, consistera en l'invention de techniques qui transformeront tous les salariés en « propriétaires » de l'effort d'amélioration permanent. Si tous les salariés assument cette propriété - constituant ainsi une vaste année d'agents de la qualité au service des clients -, on atteindra sans peine le but de l'amélioration rapide.
Conclusion
De part vocation, Crosby a élaboré une approche indépendante de celle présentée par les autres pionniers de la qualité totale.
Philip Crosbv
Extrait de la Qualité, c'est gratuit, Economica, Paris, 1986, [Quality is free, 1979]
Il vous suffit véritablement de disposer d'un nombre suffisant de données pour prouver à la direction de votre entreprise que la réduction du coût de la qualité est en réalité un excellent moyen pour accroître la marge bénéficiaire sans pour autant qu'il faille augmenter les ventes, acheter du nouveau matériel ou engager du personnel supplémentaire. Le premier élément du calcul consiste à effectuer le total des coûts suivants :
1 . coût des efforts réalisés pour refaire le travail, y compris le travail de bureau
2. coût des mises au rebut
3. coût de garantie (y compris la prise en charge dans l'usine des produits renvoyés)
4. coût du service après-vente,
5. coût du traitement des réclamations
6. coût de l'inspection et des essais ,
7. autres coûts dus à des erreurs diverses, tels que le coût des avis de modification d'ingénierie, des ordres de changement d'achat, etc. Il est normal de n'obtenir, lors de la première estimation, qu'un tiers du coût réel.
De nombreux responsables de la qualité s'imaginent que c'est un bon point pour eux personnellement si le coût de la qualité est très bas dans leur entreprise. Ils ont tendance à présenter des rapports qui donnent des chiffres comme 1,3 pour cent du chiffre d'affaires. Puis ils courent chez le patron pour recevoir des éloges. Quelques années plus tard, leur successeur découvre que le chiffre est en fait de 12,6 pour cent du C.A. et il s'embarque dans une campagne contre ce gaspillage inutile, chasse prometteuse de récompenses. Le fait est que son prédécesseur n'avait pas voulu comprendre que le coût de la qualité n'a guère de rapport avec la gestion du service de la qualité.
Pour mieux faire comprendre aux autres responsables la procédure de calcul qui a été suivie, il est utile de prendre comme critère de comparaison un autre chiffre significatif des résultats de l'entreprise. En général, le coût de la qualité est exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires. Toutefois, si votre entreprise enregistre des coûts de distribution exceptionnellement élevés, comme c'est le cas dans l'industrie alimentaire, vous pourrez préférer mesurer votre CQ en pourcentage du coût des ventes, ou simplement des coûts de fabrication. En ce qui concerne les compagnies d'assurances, les banques, les hôtels et les secteurs d'activité similaires, les frais d'exploitation constituent une bonne base de calcul. L'essentiel, c'est que ce chiffre puisse être utilisé par les responsables de la qualité pour faire passer dans l'entreprise l'importance du concept du CQ. C'est là l'essentiel.
De nombreux responsables attendent, hésitent, sans jamais parvenir à mettre en place un système CQ applicable concrètement. Ils collectionnent des listes et des classifications interminables dont ils pensent qu'elles doivent être prises en compte.
Ils ont trop le souci de parvenir à une évaluation exacte du coût, alors quels ne comprennent pas vraiment la raison pour laquelle le calcul doit être fait. (... )
Une fois qu'une activité donnée connaît son CQ ou dispose d'une bonne approximation de ce chiffre, il est possible de déterminer une série d'objectifs visant à la réduction de ce coût. L'objectif de 10 % par an représente une bonne estimation, un chiffre cible qu'il est possible d'atteindre et qui recueillera tous les efforts du personnel
CROSBY Philip, la qualité, c'est gratuit, [Quality is Free, 1979], Paris, Economica, 1986